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m&c 117 - juillet/août 2005
Le 24 juin dernier, le président du district Sud-Ouest de la Sim, Yannick Le Mailloux, proposait une rencontre avec le spath fluor tarnais de Sogerem. Une journée technique complétée, en fin d'après-midi, par une rapide visite à l'école des Mines d'Albi-Carmaux.
Avec Didier Béguin, Claude Ressouches et Cédric Simonet, le comité d'accueil de Sogerem était au grand complet pour accueillir la bonne trentaine de participants à cette journée technique organisée avec l'actif concours de Jean Laguerre et Georges Moleins, les “chevilles ouvrières” du district Sud-Ouest de la Société de l'industrie minérale.
D'Ugine à Alcan
Avant une visite sur les différents sites (à l'exception de la mine souterraine du Burg). Les responsables proposaient un petit amphi pour présenter les enjeux techniques et économiques concernant leur exploitation.
Dans le Tarn, l'exploitation de la fluorine (CaF2) est une activité relativement ancienne puisqu'elle a débuté en 1943. Initialement c'était la société Ugine qui en avait la maîtrise. Sogerem (Société générale de recherches et d'exploitations minières) a été créée en 1971 lorsque les activités minières de PUK (Pechiney Ugine Kuhlman) ont été regroupées. La société avait alors un domaine d'activité relativement important. Domaine qui s'est progressivement réduit. L'activité “minéraux industriels” a été vendue en 1990 et, à l'heure actuelle, Sogerem se retrouve comme étant le dernier exploitant de mines de spath fluor en France… et même de la dernière mine souterraine.
Il faut ajouter à cela que, début 2004, la société a été intégrée au groupe Alcan au moment de la reprise de Pechiney. Cette situation ne modifie pas grand-chose au contexte de l'exploitation même si Alcan est consommateur de spath fluor alors que Pechiney ne l'était plus depuis 1994.
Aujourd'hui, Sogerem réalise un chiffre d'affaires de 15 millions d'euros. Fortement implantée localement, elle dépense quelque 3,5 millions d'euros annuellement dans le département. Cent vingt personnes dont quatre vingt appartenant à Sogerem travaillent sur ses sites. La totalité des autres collaborateurs appartiennent à trois entreprises dont deux travaillent exclusivement pour Sogerem.
L'entreprise est actuellement le deuxième producteur européen. Il y a peu elle était encore le premier mais elle a été amenée à réduire sa production. Cette production annuelle est de 75.000 tonnes ce qui représente 1,4% de la production mondiale. Sogerem fabrique trente produits différents (qualités, granulométries,…). Elle dénombre soixante cinq clients à travers le monde dans les secteurs de la chimie, de la sidérurgie, de l'aluminium ou encore de la soudure. En outre, ses sites sont certifiés ISO 14001, ISO 9001 et, depuis 2004, ce qui est plus rare, 18001 (sécurité). Sogerem fait ainsi partie du club des trente premières entreprises françaises qui ont été certifiées 18001.
L'industrie chimique, principal débouché
Si l'on examine la production de spath fluor dans le monde, on remarque immédiatement que la Chine est le plus gros producteur. Il y a encore quelques années, ce pays était un très gros exportateur, ce qui avait tendance à tirer les prix vers le bas. Depuis trois ou quatre ans, ce pays est de moins en moins exportateur. Cette situation a provoqué une envolée des cours contrebalancée malgré tout en partie par l'affaiblissement du dollar. Le deuxième acteur majeur du spath fluor est le Mexique mais il s'agit ici essentiellement de produits de qualité métallurgique. L'Espagne est le premier producteur européen mais il y a également la Grande-Bretagne, qui avait plus ou moins disparu mais qui revient sur le marché, ainsi que l'Italie et l'Allemagne.
Alors, la fluorine, à quoi ça sert ? Appelée aussi fluorite ou spath fluor, la fluorine est un fluorure de calcium (formule chimique Ca F2). Elle intervient dans le processus de fabrication de nombreux produits utilisés au quotidien comme le Téflon®, le verre, les aciers, les gaz réfrigérants, l'aluminium.
Pour Sogerem, le principal débouché (70% de sa production en 2004), c'est l'industrie chimique. Dans cette branche, la fluorine sert à la fabrication de l'acide fluorhydrique, la matière première pour la préparation des dérivés fluorés organiques et minéraux. Dans l'industrie de l'aluminium, la fluorine sert à la fabrication des fluorures d'aluminium. En sidérurgie, on la met en œuvre pour fluidifier les laitiers ; c'est en outre un auxiliaire de désulfuration des aciers spéciaux et un composant de produits auxiliaires pour la coulée. Pour la soudure, la fluorine est un composant des enrobages d'électrode et des flux de soudure. Enfin, le spath fluor trouve également des applications en cimenterie (fondant et adjuvant de cuisson des clinkers), en verrerie (affinant, fluidifiant) ou encore pour la récupération et l'affinage des métaux non ferreux (décantation des crasses).
En 2002, Sogerem a produit 110.000 tonnes de minerai. Elle n'en produit plus maintenant que 75.000 tonnes par an du fait de son retrait d'une partie du marché, celui de la métallurgie. Un marché qui utilise des produits de qualité relativement médiocre et qui est donc peu rentable. L'entreprise s'est ainsi concentrée sur des marchés un peu plus profitables. Dans ce cadre, la chimie a pris un poids nettement plus important dans sa clientèle. Ici, son principal client est Arkema (ex Atofina), situé à Pierre-Bénite près de Lyon.
Souterrain et ciel ouvert
Sur le plateau albigeois, Sogerem exploite donc trois mines: la mine souterraine du Burg et les deux mines à ciel ouvert de Montroc et du Moulinal.
La mine du Burg, ouverte en 1954, produit environ 60.000 tonnes de minerai par an. Le puits fait 220 mètres de profondeur et sert essentiellement au transport du personnel puisque l'extraction se fait par camions au moyen d'une descenderie. Le gisement en exploitation fait environ 1,2 km de long.
La mine de Montroc a été exploitée à partir de 1964 en souterrain puis à partir de 1970 à ciel ouvert. Plus d'un million de tonnes de CaF2 y ont été produites. C'est le plus gros gisement de la région, il fait 1,3 kilomètre de long et a été creusé sur 350 mètres de haut. Vingt et un millions de mètres cubes de matériaux ont été extraits depuis le début de l'exploitation. Cette mine est pratiquement épuisée et c'est sa dernière année d'exploitation.
Le Moulinal est la première grosse mine qui ait été découverte et mise en exploitation dans le Tarn en 1943. Exploitée en souterrain au début, elle est devenue une mine à ciel ouvert en 1984. Elle a produit 900.000 tonnes de CaF2. Elle est située sur la même structure géologique que le gisement de Montroc mais avec un vide entre les deux qui n'est pas minéralisé. L'exploitation fait 1,4 km de long pour 230 mètres de profondeur. Quelque 9,6 millions de mètres cubes de matériaux y ont été extraits. Pour 2005, il est prévu d'extraire environ 50.000 tonnes de CaF2. Cela représente, pour Sogerem, environ 60% de tout son tonnage extrait.
Les trois gisements sont du même type et appartiennent au même district. Ce sont des gisements filoniens hydrothermaux. Les filons sont principalement constitués de fluorine avec plus moins de quartz, de sidérose, de chalcopyrite. Ces gisements ont été récemment datés à 110 millions d'années, plus récents que ce qui était couramment admis auparavant. En fait, ils sont de la même époque que le gisement de Luzenac.
La méthode d'exploitation à ciel ouvert est ici la suivante. L'exploitant démarre d'un côté du filon. Il descend au niveau le plus bas pouvant être atteint soit en raison des limites géologiques, soit des limites techniques. Les premiers terrains de découverture sont stockés à l'extérieur de la mine, en général dans une vallée qui sera remblayée. Une fois le niveau bas atteint, le filon est exploité et la fosse est ensuite déplacée vers l'extrémité opposée du filon avec un front d'avancement. Les stériles extraits de ce front vont servir au remblaiement de la mine à l'extrémité opposée. C'est la méthode dite “par fosses emboîtées avec autoremblaiement”.
La problématique de l'eau
Un des problèmes environnementaux principaux liés à l'exploitation de ces mines, outre l'aspect paysager, c'est l'eau. À la fois l'eau d’exhaure des mines à ciel ouvert et l'eau qui draine les verses à stériles (l'usine tourne en circuit fermé et ne pose pas de problèmes d'eau). Les trois mines sont situées sur le bassin versant d'un même lac, la retenue de Rassisse, qui fournit en eau potable à peu près à 20.000 foyers. En fait, un quart de la population du Tarn est alimentée en totalité ou en partie depuis ce lac.
Il faut savoir que la station de la Générale des Eaux qui se trouve à Rassisse arrive très bien à traiter les ions métalliques mais a du mal à traiter le fluor. Il faut donc que Sogerem s'assure que la teneur en fluor dans le lac ne dépasse pas un point de stabilité qui est de 1,5 mg par litre. L'entreprise n'a pas d'obligation de s'en assurer mais en cas de problème elle serait la première visée...
Parmi les aspects les plus importants de cette problématique de l'eau, il y a d'abord le traitement. Les deux mines à ciel ouvert, qui produisent les effluents les plus chargés sont équipées de stations de traitement à la chaux. La chaux va permettre de précipiter les ions dissous. Les ions calcium vont faire précipiter le chlore sous forme de chlorure de calcium. Les ions hydroxydes vont faire précipiter les métaux. Cela permet également de remonter le pH qui est ensuite neutralisé avec de l'acide. Cette technique fonctionne très bien pour les métaux, un peu moins bien pour le fluor. On atteint ici une limite qui se situe aux alentours de 15 mg par litre.
Au Burg, il y a moins de problèmes parce que les eaux d'exhaure sont très diluées dans les venues d'eau propre profonde. Afin d'essayer de diminuer encore la teneur en fluor des effluents des mines à ciel ouvert, l'exploitant met au point actuellement de nouvelles méthodes de traitement utilisant des sels alumineux. Des études en laboratoire ont été faites sur place l'année dernière avec un pilote. La phase finale industrielle débute actuellement sur la mine du Moulinal où les responsables sont arrivés à descendre à des teneurs de l'ordre de 3 à 4 mg par litre en deuxième phase de traitement.
Les dépenses annuelles de traitement de l'eau, sans compter le pompage des eaux d'exhaure et autres dépenses environnementales, sont de l'ordre de 400.000 euros par an, ce qui correspond à 12,5% du coût d'extraction du minerai. Il s'agit donc de dépenses significatives. En 2004, Sogerem a investi 380.000 euros pour la construction d'un filtre presse au Moulinal. Cette année, l'exploitant aura investi plus de 100.000 euros dans les équipements liés au traitement de l'eau.
La deuxième partie de la problématique de l'eau, c'est la surveillance. Ainsi, sur les stations de traitement, il y a une surveillance continue du pH et une surveillance quotidienne du manganèse (qui sert de traceur car il réagit avant le fluor). La surveillance sur le réseau hydrographique est mensuelle et bimensuelle en association avec le Laboratoire d'hygiène départemental, la DDASS, qui fait ses propres prélèvements au même moment et qui contrôle les résultats de l'entreprise. Sur le Dadou, la rivière qui alimente le lac de Rassisse, et sur le lac lui-même, en période d'étiage et là où les concentrations en ions augmentent dans le réseau hydrographique, la surveillance devient hebdomadaire, voire quotidienne, si la situation l'exige. Les paramètres suivis sont principalement le pH, le fluor, le fer, le manganèse et le cuivre.
Les analyses sont faites sur place dans le laboratoire de Sogerem.Par ailleurs, l'exploitant dispose d'une base de données de toutes les analyses sur les vingt dernières années. Il est en train d'essayer de mettre à profit cette base de données avec des travaux de modélisation. Il s'agit de mettre en place un modèle dynamique de teneur en fluor pour essayer de mieux anticiper les évolutions et donc pouvoir mieux agir sur les différents paramètres.
Après le fluor, le Roquefort
Enfin, côté réhabilitation, les premières verses à stériles ont été réhabilitées et végétalisées. Certains de ces terrains accueillent même les brebis d'agriculteurs auxquels les terrains ont été rendus. Des brebis dont le lait sert à la fabrication du Roquefort. D'autres sites ont été réaménagés en terrains de loisirs.
“Si on avait attendu les années quatre vingt dix pour faire quelque chose en matière d'environnement, cela aurait été financièrement difficile et techniquement quasi-impossible” souligne Claude Ressouches. De fait, ici, la fibre environnementale est très forte tant du côté de la direction de l'entreprise que de celui des collaborateurs. Et l'usine de traitement n'échappe pas à ce souci environnemental.
Le principe de ce traitement est repris dans le schéma. En sortie d'usine, 90% de la production sont séchés et transportés par camion citerne, les 10% restants étant mis en sacs ou big-bag.
La partie traitement des stériles est très importante sur le plan environnemental. Sogerem avait décidé, dans les années quatre vingt, de supprimer tous les bassins de décantation. L'installation est ainsi extrêmement compacte, sans bassin mais avec un système de filtre-presse mis en place en 1984. Le minerai est stocké à l'amont, le produit fini à l'aval et tout le stérile est évacué par camions pour être mis dans les zones de remblai. L'absence de bassin de décantation permet également d'avoir un circuit fermé des eaux qui sont simplement nettoyées pour pouvoir être réutilisées en flottation. C'est aussi un avantage énergétique puisque la flottation de la fluorine se fait plutôt en eau chaude (25°-30°C).
Le souci environnemental est donc bien présent sur le plateau albigeois où les touristes qui, en été, passent en nombre du côté d'Alban, ignorent bien souvent qu'ils traversent une “commune minière” !
Éric Massy-Delhotel, à Alba