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m&c 160 - juin 2009
La journée technique du district Rhônes-Alpes et de l’Aftes était consacrée à la carrière souterraine de Tacon (Ain). Ce site, unique en France, exploite un gisement de carbonate de calcium à faible teneur en oxyde de fer, qui est principalement utilisé dans des applications de verrerie haut de gamme.
La société Samin (Société d’exploitation de sables et minéraux), créée en 1963, est une filiale du groupe Saint-Gobain spécialisée dans le domaine des minéraux industriels.
L’établissement de Tacon, qui se compose d’une carrière souterraine de carbonate de calcium et de son usine de traitement, est l’un des 9 sites de la société. Samin emploie au total 140 salariés pour assurer 3 activités principales : la première est l’extraction et le traitement de sables de silice issue de 3 sites dans le bassin des sables de Fontainebleau, plus un autre près du bassin d’Arcachon. La seconde est l’extraction et le traitement de roches massives (calcaire, phonolite, dolomie) sur 4 sites. Enfin, la troisième est une activité de traitement du verre ménager issu des collectes sélectives pour le transformer en calcin (verre recyclé) afin de recycler le verre.
Les débouchés commerciaux de ces activités sont principalement des marchés industriels, en particulier liés au verre ; verre creux (bouteille, pots), verre plat (vitres), flaconnage (parfum et pharmacie), gobeleterie. Samin commercialise aussi des produits sur les marchés du BTP et sur d’autres marchés (loisirs, agricole)
Un matériau noble
L’exploitation de Tacon est constituée de la carrière souterraine implantée sur les communes de Saint-Germain-de-Joux et de Plagne (01), et de l’usine de traitement, éloignée de 4 km sur la commune de Châtillon-en-Michaille. Le brut d’abattage de la carrière transite par camions vers l’usine de traitement.
L’établissement de Tacon est une structure de 10 personnes dont 5 personnes travaillent en 2 x 8 à la production (carrière et usine).
La carrière souterraine exploite un gisement de carbonate de calcium issu de calcaire récifal à polypiers du Kimméridgien (Jurassique supérieur). L’intérêt de ce gisement est de contenir une teneur en oxyde de fer exceptionnellement basse, de moins de 90 ppm, qui justifie une exploitation souterraine. Cette teneur est unique en France, selon Jacques Vialon, chef d’établissement de Tacon, “le gisement de calcaire concurrent le plus proche, en France, est d’une teneur au moins double”. Cette basse teneur en oxydes de fer permet de produire du verre blanc et extra-blanc utilisé dans la verrerie haut de gamme. En effet, il est à rappeler que, par exemple, la couleur verte des bouteilles de vin est donnée par la teneur en oxyde de fer des minéraux, dont le carbonate de calcium, qui est un constituant du verre.
Le calcaire de Tacon est donc un matériau noble très recherché pour le flaconnage des parfums, des bouteilles de spiritueux haut de gamme et pour toute autre verrerie de qualité. Les ventes rayonnent sur toute la France et les pays frontaliers.
L’établissement de Tacon défend ce positionnement haut de gamme. Comme l’explique Jacques Vialon : “Notre politique vise à valoriser au mieux nos ressources et donc de cibler, pour ce matériau noble et rare, des applications haut de gamme.”
Le sable 0/4 représente 85 % des ventes. Il est incorporé directement dans les fours de la verrerie. L’usine de Tacon produit également des matériaux très fins pour d’autres applications (fibres de verre par exemple).
Une maille souterraine
La carrière est exploitée par chambres et piliers, sur un périmètre de 67 hectares, à l’intérieur d’un récif calcaire qui forme une colline. La carrière s’ouvre sur le flanc pour s’enfoncer au cœur du récif. Le recouvrement passe de 50 mètres à l’entrée à -170 mètres. Le gisement est subhorizontal et est exploité sur un niveau, l’avancement se fait donc horizontalement, sans pendage.
La couche de gisement, à la qualité recherchée, a une épaisseur de 20 mètres. Elle est surplombée d’une couche de calcaire noduleux1, dont la résistance mécanique, beaucoup plus importante, concoure à la stabilité du toit.
Selon les calculs établis lors de l’ouverture de la carrière, l’exploitation s’effectue sur un seul niveau de 10 mètres de haut, ce qui représente la moitié supérieure du gisement. La partie inférieure de 10 m sur laquelle repose le niveau exploité n’a jamais été extraite. En effet, le maillage et la calibration des piliers, qui sont toujours en cours, ont été calculés pour un seul niveau.
Une ossature surveillée
La stabilité du site est assurée par des tailles de galeries et de piliers bien définies. Ainsi, la taille des piliers est de 15 m par 40 mètres. Ils sont complétés, tous les 250 mètres, de surpiliers de 40 par 40 mètres. “Cette configuration, qui a été définie à l’origine de l’exploitation, est pleinement satisfaisante”, précise Jacques Vialon, qui ajoute : “Pour s’assurer de la bonne stabilité nous recevons également tous les ans le Cete de Lyon qui intervient sur l’actualisation géologique, en venant voir ce que l’on trouve à l’avancement.
En effet, nous sommes dans un site calcaire, le faciès peut donc changer, comme cela est déjà arrivé. Les intervenant du Cete nous conseillent alors de remonter ou de purger à certains endroits plus qu’à d’autres.” La stabilité est également contrôlée chaque année par la détection de mouvements éventuels des piliers à l’aide de points d’ancrage fixés dans les galeries (mesures extensomètriques), ou de mouvements sur des failles ou des fissures (mesures fissuromètriques). Jacques Vialon termine : “Aucun mouvement répété n’a été détecté jusqu’à présent en signe de la remarquable stabilité de la carrière.”
Un bon compromis
L’exploitation utilise la méthode par chambres et piliers abandonnés. Par “abandonné”, on entend qu’en fin d’exploitation, les chambres ne sont pas comblées et les piliers laissés en l’état.
Ce mode d’exploitation est la méthode la plus pratiquée en présence de gisement à faible pendage. En effet, elle est la fois pratique et productive en permettant de charger les poids lourds au pied du chantier, d’extraire un maximum de matériau et souvent, de ne pas avoir à étayer les cavités.
La méthode par chambres et piliers consiste à creuser un réseau de galeries se recoupant perpendiculairement, suffisamment proches les unes des autres pour extraire une proportion substantielle du gisement en ne laissant que les piliers. Ces derniers sont régulièrement espacés afin de soutenir le toit
L’abattage se fait par tir de mines horizontales, puis verticales, en avançant sur plusieurs fronts et en formant des chambres séparées par les piliers. Ceci donne un quadrillage régulier de chambres et de piliers dont les dimensions relatives représentent le compromis entre la stabilité du massif et la récupération du maximum de matériau. Les vides ne sont pas étayés en dehors du boulonnage des zones sensibles détectées lors de la purge. Jacques Vialon précise à ce propos : “Pour éviter les chutes de blocs, on n’hésite pas à purger les arrières, c’est-à-dire à revenir sur les anciens tirs.”
Des poids lourds aux fronts
La méthode par chambres et piliers présente plusieurs avantages. Tout d’abord, les chambres qui sont ouvertes perpendiculairement les unes sur les autres, servent aussi de voies de roulage. Les camions sont de ce fait chargés au front de taille par la chargeuse sur pneus Caterpillar 966 G2, qui reprend le matériau abattu. Cette ouverture des galeries les unes sur les autres favorise également l’aérage, puisqu’il n’y pas de zone en cul de sac, sauf à l’avancement.
Cette méthode d’exploitation permet également de travailler simultanément sur 3 à 4 fronts afin de mixer les matériaux de plusieurs provenances pour parer des fluctuations de gisement. En effet, bien que le gisement de Tacon soit homogène, il présente quelques hétérogénéités sur la dureté, la teneur en fer et surtout sur l’humidité alors que la verrerie nécessite une composition et une humidité déterminées. Ce sont les camions qui se déplacent d’un front de taille à l’autre pour réaliser le mixage
L’avancement à 2 temps
L’extraction s’effectue en 2 phases, qui consistent à avancer horizontalement, puis à creuser cet avancement. La première phase, le traçage, est l’ouverture de la galerie : on fore horizontalement à l’aide d’un jumbo de foration sur une section de 60 à 70 mètres carrés. La galerie est ainsi ouverte sur 6 à 7 mètres de haut et sur 10 mètres de large. Une fois le matériau extrait, on passe à la phase de défonçage : la galerie est reprise par foration verticale sur 3 à 4 mètres pour constituer une cavité de 10 mètres de côté sur 10 mètres de haut.
Les phases sont réalisées en 4 étapes. La première est la foration avec un Jumbo Tamrock Secoma Titan. Le minage au nitrate fuel est réalisé à partir d’une nacelle par bourrage pneumatique en vrac. La densité du matériau varie entre 2,5 et 2,6. Chaque volée abat entre 750 et 800 tonnes de tout venant ; il y a environ 10 tirs dans le mois.
Le matériau abattu, au rythme maximum de 450 t/j, est un 0/800 qui est chargé dans des camions équipés d’une benne à enrochement. Aucun matériau n’est stocké sur place, les poids lourds partent directement du front vers l’usine de traitement.
La dernière étape est la purge effectuée à l’aide d’une pelle sur chenille Fiat Kobelco E 165 (16,5 tonnes équipée d’une fraise ERKAT). On purge le toit, les parements et le front de taille de façon à pouvoir travailler et circuler en sécurité. Les purges peuvent détecter des plaques (lorsque cela sonne creux) qui constitueront des zones à surveiller ou à boulonner selon l’appréciation du chef de carrière et des autres opérateurs en poste.
Toutes les étapes de la production sont réalisées par les 3 employés de Samin, dont le chef de carrière. Chacun est donc polyvalent pour assurer la foration, le minage, la purge et le chargement des camions.
Protection
Chaque employé porte un appareil mesurant la teneur en oxygène et en gaz nocifs (CO, CO2, NO, NO2, SO2, H2S). Les débits d’air dans les galeries sont également mesurés. Cela permet de contrôler l’efficacité de l’aérage (assuré par deux ventilateurs), ainsi qu’une défectuosité des engins. Ces derniers sont tous équipés de pots catalytiques. Les opérateurs disposent à l’intérieur des engins de masques qui leur apportent une autonomie de 30 minutes en cas d’incident grave (d’incendie). Néanmoins, si le danger d’intoxication et d’asphyxie par incendie reste un risque majeur en souterrain, la taille importante et l’ouverture des galeries les unes sur les autres minorent ce risque.
Un traitement ultrafin
Le brut d’abattage 0/800 est concassé à l’usine par un concasseur à mâchoires. Il est ensuite criblé et séché, avant de passer aux traitements suivants. Comme l’explique Jacques Vialon : “Les verriers veulent un matériau avec un taux d’humidité défini et stable. Il faut donc faire un travail d’homogénéisation entre les différentes zones de la carrière, et le sécher à l’usine.” Le séchage permet d’obtenir produit à humidité constante de l’ordre de 3 %.
Jacques Vialon reprend : “Le taux d’humidité est fortement variable en fonction des zones et peut atteindre 10 et 12 %. Cela est dû à une couche de marne qui fait parapluie au dessus du cœur du gisement et qui disparaît à sa périphérie.”
Après concassage, un crible à 1 étage coupe à 40 mm. Le passant (0/40) est séché dans un four, puis dirigé sur 2 chaînes “fines”. Une partie du produit sec issu du four alimente les chaînes fines ; l’autre partie est incorporée au 40/80 (issu du criblage) pour corriger le taux d’humidité du 0/4 produit par des broyeurs “Cléros”. Enfin, les matériaux finis sont stockés dans des silos ou à l’abri au sol.
Patrick Petelot
(1) Le calcaire noduleux est un calcaire dans lequel la calcite s’est concrétionnée autour de certains points d’attraction durant la diagenèse.