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m&c 141 - octobre 2007
La journée technique du district Nord de la Sim qui traitait de la sécurité, enjeu majeur pour l’industrie minérale, s’est déroulée le 18 septembre dernier à l’école des mines de Douai. Après sa présentation par M. Jean-François Didier, président du district Nord de la Sim, les tables rondes se sont succédé pour offrir en fin de journée une large vision d’ensemble à tous les participant.
La première table ronde, qui abordait de front les problèmes juridiques et réglementaires, était un bon préambule pour entrer dans le vif du sujet, sans lasser les participants avec le déroulement d’un flot de textes, qu’il est aujourd’hui facile de consulter intégralement sur internet.
Réglementation, enjeux juridiques, économiques et humains
C’est Jean-Paul Hédin (DRTEFP Nord–Pas-de-Calais) qui a exposé l’origine et l’évolution des principaux textes de la réglementation technique sur la sécurité, en rappelant tout d’abord le principe de base en la matière : “La préservation de la sécurité physique a constitué dans tous les pays industrialisés la pierre angulaire du droit du travail” (Précis Dalloz,
22e édition, p. 1093).
À partir des années 1870, sont apparus les premiers textes techniques. Fondés sur des règles de bon sens, ils édictent les prescriptions en matière d’hygiène et de sécurité (1893) dont le non-respect engage la responsabilité civile de l’employeur pour les accidents survenus dans son entreprise (1898). Après la Seconde Guerre mondiale, la réglementation se développe avec des décrets par branche d’activité et par type de risque (ex. le décret du 23 août 1947 sur les appareils de levage). Ces nombreux textes ont été structurés dans les années 1970 avec la création de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, puis l’obligation de formation à la sécurité (1982), l’ouverture à l’Europe avec la Directive 89/391 (1989) et le concept de protection de la santé mentale au travail (2002).
Aujourd’hui, c’est sur la prévention que l’accent est mis : “Le chef d’établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs” (réguliers et temporaires). Ce principe une fois posé, de nombreuses règles sont établies, qui conduisent à une véritable politique de prévention et à une méthode rigoureuse pour l’appliquer (diagnostic d’évaluation des risques, document unique (R.230-1) d’évaluation de ces risques, plan de prévention, etc.). Les règles techniques d’application aboutissent au règlement intérieur et à son affichage obligatoire sur le lieu de travail, qui comporte la définition des règles générales de sécurité ainsi que les règles particulières liées aux différents risques (mécanique, électrique, chimique, biologique, etc.). La responsabilité pénale des employeurs est ici engagée, mais aussi celle des personnes qui ont reçu délégation de pouvoir.
Côté travailleurs, droits et obligations existent également : il incombe à chaque travailleur de prendre soin de sa santé, de sa sécurité et de celle des autres personnes concernées par ses actes et ses omissions au travail (art. L.230-3 du Code du travail).Pour conclure, il faut retenir que les trois textes les plus importants concernent l’évaluation du risque, la formation à la sécurité et l’association des salariés à la prévention.
Ces dispositions générales sont complétées par celles qui concernent directement les carrières, présentées par Sabine Chauvel (Drire Nord–Pas-de-Calais). Elles s’articulent autour de l’article L711-12 du Code du travail (détaillé et explicité sur le site www.juritravail.com/code-travail.html), l’article 107 du Code minier, et de nombreux décrets :
• décret du 7 mai 1980 RGIE (80-331), “portant règlement général des industries extractives” ;
• décret du 16 novembre 1964 (64(1148), “portant règlement sur l’exploitation des carrières à ciel ouvert”;
• décret du 22 mars 1955, “portant réglementation de la sécurité des silos et trémies dans les mines et carrières” ;
• décret du 12 février 1999 (99-116), relatif à l’exercice de la police des carrières en application de l’article 107 du Code minier…
• …et des arrêtés ministériels plus spécifiques (ex. sur les noyades…).
S’y ajoutent les pouvoirs octroyés à l’inspection du travail (investigations sans avertissement préalable, enquêtes auprès des salariés, appel à des organismes agréés, prélèvements de produits, etc.) et les sanctions prévues aux articles 140 et 141du Code minier (voir l’intégralité du Code minier : codes-et-lois.fr/codes/code-minier/code-minier.html).
Pour s’y retrouver dans ce chapelet de mesures, la Cram propose son aide aux exploitants.
Également du domaine de compétence de la Cram, la gestion du risque accidents, développée par Jean-Pierre Jagodzik pour clore cette première table ronde. Dans la région Nord, au cours des années 1970, le nombre des accidents, toutes gravités confondues, a fortement baissé, mais stagne depuis les années 1985. Les accidents graves atteignent 450 à 500 par an tandis que les accidents avec arrêt de travail avoisinent les 6 000-6 500 par an. Sont déclarés environ 12 à 15 décès par accident chaque année, dont 55 % sont des accidents de circulation, de trajet ou au cours de missions). Les accidents matériels diminuent, mais leur gravité augmente. Les maladies professionnelles évoluent depuis les années 1995 ; ce sont surtout des troubles musculo-squelettiques (TMS), mais aussi des maladies dues à l’amiante (80 déclarations/an) ou à la silice (60 à 70 déclarations/an), avec quelques cas mortels. Face à ces risques et aux coûts qu’ils impliquent (un accident avec arrêt coûte directement en moyenne 2 500 €, à multiplier par trois en coûts indirects), la Cram prévoit quatre axes de travail : le risque routier, les maladies professionnelles, les cancers professionnels et la formation.
La responsabilité des chefs d’entreprise est engagée et il leur incombe de se protéger ; comme nous l’avons vu, l’arsenal juridique est impressionnant et il paraît difficile de l’assumer seul ; l’aide d’un ingénieur de prévention doté de moyens et de l’autorité nécessaire peut s’avérer indispensable dans les grandes entreprises. Pour les autres, Prevencem, association loi 1901 spécialisée dans le développement de la prévention dans les industries extractives (www.prevencem.fr) fait partie des organismes qui peuvent être de bon conseil.
La boîte à outils pour une démarche sécurité maîtrisée
Pour réussir cette démarche, six grands principes résumés par Jean-Luc Bocquet (Cram Normandie) :
• engagement : s’impliquer régulièrement et impliquer ses salariés ;
• adaptabilité : utiliser des outils adaptés à l’entreprise et mettre en place ses propres règles ;
• économie : être autonome dans l’évaluation des risques et maîtriser la prise de décision ;
• participation : se concerter avec les salariés qui connaissent les risques pour qu’ils relaient la démarche ;
• finalité : mettre en place des actions et prendre des décisions appropriées ;
• évaluation du risque : combiner la probabilité et la mise en œuvre (préparation, évaluation, réduction, suivi).
La Cram, la médecine du travail, la Drire, l’inspection du travail et Prevencem fournissent des grilles d’aide à l’évaluation. La Cram possède aussi des laboratoires de chimie-toxicologie et des centres de mesure physique et aérauliques.
Analyse a posteriori d’un accident
L’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) préconise la méthode de l’“arbre des causes” qui consiste à :
• recueillir le plus tôt possible les informations sur l’accident en établissant des faits concrets, précis et objectifs, vérifiables par mesures et observations, non contestables en éliminant les interprétations et les jugements ;
• examiner les éléments qui ont contribué à l’accident (qui, fait quoi, comment, avec quoi, sur quelle machine, où, avec qui…) ;
• rechercher les faits habituels et inhabituels ;
• remonter le plus loin possible en partant du dommage ;
• partir du fait ultime (l’accident) et poser les bonnes questions (qu’a-t-il fallu pour que l’accident se produise ? Est-ce nécessaire, est-ce suffisant ?).
Il faut ensuite rechercher les mesures de prévention en supprimant les causes d’apparition des faits ayant entraîné l’accident.
Cet arbre se construit à plusieurs et trouve sa solution en “coupant les branches de l’arbre”, autrement dit en acquérant une connaissance complète de l’origine à la survenue de l’accident.
Outils de motivation (avantages et risques)
Comme on l’a vu plus haut, le coût des accidents peut grever le résultat d’une entreprise. Pour les éviter, de nombreux outils existent, présentés par Yann Finet (Eurovia, président de BTP Environnement) :
• le PPSPS (Plan particulier de sécurité et de prévention de la santé), qui comprend l’ensemble des mesures de sécurité à appliquer chronologiquement ou en coordination s’il y a plusieurs intervenants ;
• les “hommes sécurité” ;
• les indicateurs de fréquence et de gravité ;
• la formation et l’aide à la gestion des AT ;
• l’EPI (Équipement de protection individuelle, remis à l’arrivée de tout salarié) ;
• la création d’un document unique avec les salariés ;
• l’“homme trafic”, qui règle les problèmes de circulation ;
• le carnet de consignes de sécurité remis aux intérimaires et sous-traitants ;
• les mesures incitatives (ex. une récompense si X jours sans accident) ou les sanctions pour les récidivistes du non-respect des consignes ;
• les actions au niveau des trajets (ex. charte Vigiroute).
Si malgré ces mesures, l’accident mortel n’a pu être évité, une structure de soutien psychologique permet de travailler sur le risque et la sécurité.
La matinée s’est achevée avec la projection d’un film de Prévencem, qui présentait les outils pédagogiques sur la sensibilisation du personnel en carrière aux risques de chutes (silos, trémie, stock-piles, etc.) et d’intervention sans précautions (harnais, signaux amont et aval, arrêt de process…).
Guide des bonnes pratiques pour la sécurité des convoyeurs à bandes
Pour Philippe Bliard (Prevencem), la meilleure façon de protéger un convoyeur, c’est d’uniformiser les pratiques et de respecter le règlement (voir décret no 2001-1132 du 30 novembre 2001, JO du 2 décembre 2001 ; une précision : si deux applications réglementaires sont possibles, c’est la plus contraignante qui sera retenue). Ce qui n’est pas toujours facile car le mouvement continu et régulier du convoyeur entraîne une sous-estimation du risque. Celui-ci se situe surtout aux points rentrants (remplissage du volume aux points dangereux : tambours d’entraînement, dispositifs de raclage, rouleaux porteurs…) et les fabricants, sous la pression de l’inspection du travail et de la Drire, prévoient de plus en plus de protections : grilles, capotage, protections latérales, câbles d’arrêt d’urgence…
Les rondes de surveillance et d’entretien permettent également de repérer les anomalies et le surveillant doit garder sur lui la clé du dispositif d’arrêt principal, de manière à verrouiller l’équipement et empêcher son redémarrage intempestif. Il faut insister sur le fait que la protection n’est pas contradictoire avec la rentabilité : elle devrait même améliore la productivité et les conditions de travail puisque les arrêts de production sont limités.
Un document complet sur les risques, en particulier ceux liés aux convoyeurs à bandes, est téléchargeable sur le site de l’Unicem (www.unicem.fr/data/info/14347-Convoyeurs_a_bandes_2.pdf).
Trois exemples de partenariat Cram/Entreprise
Bertrand Sannac (Sillmer) a présenté la rénovation complète de l’usine de galets de Cayeux-sur-Mer (80), qui posait un énorme problème d’envolées de poussières de silice cristalline avec des cas graves de fibrose pulmonaire. Les 8 fours de calcination dataient de 1928 et les poussières atteignaient 5 fois la norme à l’entrée du four et 10 fois à l’intérieur. Avec l’appui de la Cram, l’usine a été entièrement transformée. Une installation de dépoussiérage (45 000 m3 aspirés/h, 20 000 m3 d’air de compensation) a été réalisée en 2005 avec confinement des zones à risque, atomisation d’eau dans les passages, port de masque ventilé obligatoire… En 2007, c’est l’installation de concassage en sortie de four qui a été reconstruite : transporteurs vibrants capotés, convoyeurs capotés et étanches (Brunone), crible confiné (Chauvin), broyeur Metso, aspiration des poussières (35 000 m3/h), installation d’escaliers et de passerelles d’accès.
Pierre Pinte (Bocahut) a également été aidé par la Cram pour l’aménagement de la carrière Eiffage à Godin (59). Il s’agissait de réduire les risques dus aux poussières de chaux (brûlures) par la rénovation du circuit de dépoussiérage, le remplacement de cribles et de convoyeurs, l’amélioration de 3 postes de chargement de la chaux. Ont également été réalisés : le calorifugage des gaines de canalisation gaz dans les fours, l’amélioration du niveau sonore et des conditions de travail en carrière, de la circulation piétons et camions. Soit un investissement de 452 000 €, dont 82 000 fournis par la Cram.
Ludovic Legay (GSM) a été encouragé à améliorer la situation de la carrière GSM-Eurarco Le Crotoy (80) par l’initiative des salariés concernant les accidents graves. De nombreuses améliorations : motoréducteurs et passages sous les convoyeurs, système de retournement des bandes, bacs de protection sous les sauterelles, consignation de toute l’installation, obstruction des goulottes, sécurité incendie et protection des câbles, commande de vidange à distance et fermeture des accès des trémies, concasseur avec bardage double peau et dépoussiérage sur tapis de sortie, palan électrique pour la manutention des pièces, ont été fabriquées testées par les travailleurs sur site. Un poste de commande climatisé en élévation entièrement automatisé et la reprise le circuit de circulation sur 2 voies –de manière que camions et véhicules légers ne se croisent pas– complètent ce dispositif sécurité tous azimuts.
La sécurité intégrée dans le management de l’entreprise
Rio Tinto Minerals/Borax Francais, par la voix de Thierry Louisnard, annonce 2 100 jours sans AT. Une belle performance pour cette société de production de borate de spécialité, implantée depuis plus d’un siècle dans le Dunkerquois, mais surtout une forte implication dans les domaines de la santé, la sécurité et l’environnement.
Le concept même de sécurité a ici changé de sens : d’abord considéré comme étant du ressort exclusif de l’entreprise, il a évolué vers une responsabilisation des comportements individuels pour devenir une valeur culturelle qui concerne chacun, au travail et ailleurs. Ce résultat passe par une organisation efficace, dotée d’outils de communication adaptés :
• l’écrit sous toutes ses formes (notes mensuelles, commentaires, articles de presse, événements tels les départs ou retours de vacances, la situation météo, etc., livret “Take five” –5 principes de base pour réfléchir avant d’agir) ;
• l’oral (points sécurité systématiques, discussions sur le terrain, analyse des incidents) ;
• le visuel (affichage classique et “maison”, avec des images chocs pour frapper les esprits, vidéos et clips maison, campagnes à thème, mannequins porteurs de messages) ;
le tout en variant les outils pour éviter l’habitude, en reconnaissant les bonnes idées et en fêtant ensemble les bons résultats.
Pour que cette valeur perdure et mérite son nom de culture durable chacun doit être personnellement engagé dans la démarche (audits sécurité basés sur l’observation, l’échange et la discussion, prévus ou ponctuels, regroupés dans une base de donnée et synthétisés chaque mois au niveau corporate). Un travail sans cesse renouvelé sur les comportements individuels, mais aussi de groupe.
Et l’énoncé d’une vérité pour clore cette journée : un accident n’est jamais une fatalité.
Véronique Michel, à Douai