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mines & carrières 193 - juin 2012

 

Ouvert à Lyon en 1952, le tunnel de la Croix-Rousse est en rénovation complète pour une mise en conformité par rapport aux nouvelles normes de sécurité, impliquant notamment de creuser un second tunnel. C’est cet ouvrage que le district Rhône Alpes de la Sim a proposé de visiter au mois de janvier, en pleine phase de travaux.

 

Le groupe de la Sim a été reçu le 31 janvier par Thomas Kavaj, de la direction de la voirie du Grand Lyon, maître d’ouvrage de l’opération. Sur les maquettes, il a fait découvrir le vaste plan d’aménagement urbain autour de la Saône, de La Mulatière au sud, jusqu’à Neuville au nord, dans lequel s’intègrent les deux tunnels sous la Croix-Rousse et le futur pont Schumann sur la Saône.

Bref rappel historique

Le premier tunnel sous la Croix-Rousse faisait partie d’un plan d’aménagement routier élaboré dès 1935. C’est un tunnel bidirectionnel à deux voies dans chaque sens. Il mesure 1 752 mètres de long et 14 mètres de largeur de plateforme. Quarante-sept mille véhicules l’empruntent chaque jour. La ventilation est assurée par cinq usines situées au-dessus, sur le plateau, reliées chacune à deux puits.

L’ouvrage a été construit entre 1938 et 1952, avec plusieurs interruptions pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a désormais soixante ans et nécessite une remise à niveau complète, tant du génie civil que des équipements de sécurité et de la ventilation. Compte tenu de sa longueur, il entre dans le champ d’application de la circulaire ministérielle prise après le dramatique accident survenu en 1999 dans le tunnel sous le Mont-Blanc, qui impose pour tous les tunnels de plus de 300 mètres de long la réalisation d’une galerie d’évacuation des passagers des véhicules bloqués à l’intérieur avec des rameaux de liaison tous les 200 mètres.

Le Grand Lyon a eu obligation de réaliser l’ensemble de ces travaux s’il voulait maintenir le tunnel routier en service. Il a pris comme assistant maître d’ouvrage la société Egis Tunnel, spécialisée dans la conception de tunnels, et a lancé les études début 2006. Les études et la concertation ont duré trois ans et ont conduit à la conception d’une galerie de 10 mètres de plate-forme, 90 m2 de section excavée, dédiée aux modes de déplacements doux : piétons, vélos, transports en commun, en plus de son rôle d’évacuation.

La géologie du site

Les archives du Grand Lyon, de la Commission des Balmes et de la construction du premier tunnel, et de ses dix puits, ont contribué à avoir une bonne connaissance du site du nouveau tunnel nord.

Il comprend quatre couches du sommet à la base : le Quaternaire (argile sablo-granuleuse et sables grossiers), le Pliocène (argile à cailloutis), le Miocène (sables argileux plus ou moins grésifiés) et un socle cristallin et cristallophyllien constitué de gneiss et de granite.

Des campagnes de sondages ont permis de préciser tout cela :

• carottages horizontaux de 350 à 380 mètres à chaque tête dans l’axe du futur tunnel ;

• 800 mètres de carottages verticaux à partir du plateau ont permis d’identifier les différentes couches ;

• 25 sondages sub-horizontaux courts dans le plafond du tunnel routier, complétés par des tirs d’essai dans le cadre de l’étude préalable des vibrations.

Cette étude préalable comportait un inventaire des structures (y compris la ligne C du métro), une définition des seuils admissibles, le calcul des lois d’amortissement des vibrations, et une estimation des charges explosives admissibles.

L’étude, ainsi que le suivi des vibrations en cours de travaux, a été confiée au Centre d’études des tunnels (ministère des Transports). Elle a notamment montré que la construction cible la plus contraignante au niveau des vibrations était le tunnel existant.

Les méthodes d’extraction employées

Les principes retenus pour les boîtes d’entrée en tunnel sont les mêmes pour les deux têtes, côté Rhône et côté Saône. Les parois latérales comprennent des pieux tangents en béton armé, de 1 mètre de diamètre, ancrés dans le substratum et butonnés en tête par des liernes et butons métalliques. Les dimensions côté Rhône sont plus importantes : pieux jusqu’à 17 mètres, longueur de la boîte 25 mètres.

La paroi d’entrée en tunnel est confortée par des clous d’acier et du béton projeté armé, sauf la section d’entrée où les clous sont en fibre de verre et le béton projeté n’est pas armé pour permettre le travail de la fraise. Ces confortements sont beaucoup plus lourds côté Rhône où il a fallu également traiter le problème des galeries anciennes (les arêtes de poisson) recoupées par le nouveau tunnel.

Les premiers mètres en tunnel sont traités à part. Côté Saône, le substratum rocheux sain se trouve à 70 mètres de l’entrée et, côté Rhône, à 150 mètres. Les deux zones sont excavées sous la protection d’une voûte parapluie en tubes pétroliers à forte inertie de 130 mm de diamètre, exécutée préalablement par écailles de 15 mètres. L’extraction est faite avec une fraise sur chenilles de 95 tonnes. Le soutènement provisoire est assuré par cintres tous les 1,50 m et du béton projeté fibré.

Les travaux dans le rocher

L’excavation sur les 1 550 mètres dans le socle rocheux est réalisée en pleine section (90 m2) à l’explosif, avec une attaque à chaque tête. Chaque volée abat de 2 à 5 mètres de longueur, selon le terrain.

150 trous de 72 mm de diamètre sont forés par un Robofore automatisé à trois bras. L’explosif utilisé est une émulsion système Morse (module de repompage et sensibilisation d’émulsion) qui offre une plus grande sécurité d’emploi. Les composants pris séparément ne sont pas explosifs et l’émulsion n’est sensibilisée que 20 minutes après le mélange. Les procédures administratives sont simplifiées par rapport à celles requises avec les explosifs classiques. L’amorçage est séquentiel du tir et la durée de 8 à 10 secondes.

Après les tirs, une pulvérisation d’eau sur les matériaux abattus permet de dissiper les poussières et les gaz du tir. Ces derniers sont aspirés et épurés par barbotage avant rejet, et la qualité de l’air est contrôlée avant rejet.

La purge est mécanique par une pelle spécialement équipée à cet effet.

Plusieurs types de soutènement ont été prévus : cintres avec béton projeté fibré, clouage et béton projeté fibré, béton projeté fibré seul. C’est ce dernier type qui a été le plus utilisé.

Le marinage et l’évacuation des matériaux ont été traités par l’entreprise Moulin de Bourgoin-Jallieu. L’échelon de marinage est composé d’une chargeuse sur pneus Caterpillar 950, deux tombereaux articulés de 26 tonnes de charge utile, un 4x4 articulé D25 Caterpillar. Le roulage s’effectue sur un préradier en béton réalisé par demi-largeur à l’avancement. Le préradier facilite aussi le roulage des portiques de pose de l’étanchéité et des coffrages-outils utilisés pour le bétonnage du tunnel.

Les zones de stockage des déblais aux têtes Saône et Rhône sont très exiguës, ne permettant pas de déposer les totalités des volumes de la volée. Le marinage, la reprise et l’évacuation des déblais ont dû se faire en même temps, d’où, pour l’entreprise, une gestion délicate de la coordination des mouvements de matériels sur le site.

Le cycle dure environ 15 heures, comprenant deux heures de forage, une de chargement, une heure et demie de fermeture du tunnel routier pour le tir, puis 4 à 5 heures de marinage, le reste du cycle étant pris par les purges et le soutènement.

Évacuation des matériaux par la Saône

Ce sont 100 000 m3 côté Saône et 60 000 m3 côté Rhône qui ont été évacués. Une attention particulière a été portée par le maître d’ouvrage à ce problème. Afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et éviter l’injection d’une noria de camions dans la circulation urbaine déjà très chargée, le transport par voie d’eau a été privilégié. Une convention avec VNF a été passée pour l’occupation temporaire du quai Arloing, en rive droite de la Saône, face au tunnel, pour y installer un quai de chargement des barges et un stockage provisoire des matériaux (20 000 m3) qui seront réemployés en sous-couche de la chaussée du tunnel et de ses abords après traitement. Pour permettre le chargement des barges sans danger, un concasseur mobile a dû être installé (voir Mines & Carrières n° 180 d’avril 2011, page 54).

La concertation avec les riverains a abouti à la création d’un comité de suivi et à la mise en place de mesures pour réduire les nuisances :

• adaptation des horaires de chantier ;

• mise en place d’une palissade pleine doublée d’un matériau acoustique pour isoler le chantier ;

• installation autour du concasseur d’une enveloppe performante en matière d’absorption du bruit ;

• mise en service d’un système de brumisation sur le concasseur et arrosage des pistes et des matériaux avant concassage. Les niveaux de poussières et les vibrations ont fait l’objet de mesures.

Étanchéité et bétonnage

La première opération est le coulage des banquettes latérales sur 1 mètre de hauteur, incluant le caniveau de récupération des eaux, puis le captage des venues d’eau existantes et leur amenée par drains dans le caniveau.

L’étanchéité de la paroi est constituée comme suit :

• un géotextile non tissé, anti-poinçonnement de 600?g à 1 kg/ m2 en lés de 3 mètres de large, posé sur le soutènement provisoire et fixé par fixations Spit. En partie basse, le non-tissé est posé sur des membranes drainantes Delta MS, en polyéthylène haute densité, qui ramènent l’eau au caniveau ;

• une membrane étanche en PVC de 2 mm d’épaisseur, en lés de

2 mètres, posée sur le géotextile et fixée par soudures ;

• sur les têtes de Spit spécialement conçues, les lés sont assemblés par double soudure thermique.

Les soudures, la résistance à la traction du géotextile et l’épaisseur de la membrane sont contrôlées. Les travaux d’étanchéité sont traités par l’entreprise lyonnaise spécialisée GCC.

Deux ateliers de pose comportant chacun un portique sont en activité : un côté Saône, l’autre côté Rhône.

Le revêtement définitif en béton est réalisé grâce à deux outils coffrants de 12,50 m de long, un côté Saône, un autre côté Rhône. Ils sont montés sur portiques, pèsent chacun 100 tonnes et roulent sur le préradier. La peau coffrante mesure 10 mm d’épaisseur.

Le béton arrive par toupies routières et est mis en place à la pompe. La vibration interne est réalisée par des fenêtres dans le coffrage. Toutes les réservations et fourreaux destinés aux équipements sont posés avant la mise en place de l’outil coffrant.

Le cycle coffrage/bétonnage dure 24 heures. Le revêtement progresse de 12,50 mètres par jour de chaque côté. La résistance du béton est contrôlée par maturométrie thermique. Le décoffrage peut s’effectuer quand la résistance du béton atteint 8 MPa, ce qui se produit après 8 à 12 heures de temps de prise. Les mêmes principes d’étanchéité et de bétonnage sont mis en œuvre dans les rameaux de liaison avec le tunnel routier.

Le chantier, les riverains et l’environnement

Le cahier des charges prévoyait que le groupement saisisse le tribunal administratif en référé pour désigner un collège d’experts chargé d’établir l’état des lieux préalable aux travaux. Trois mille logements ont été traités, en trois phases à l’avancement. La zone concernée s’étend sur 58 mètres de part et d’autre de l’axe du tunnel et 200 mètres aux têtes.

Avant chaque tir, le tunnel routier a été fermé. Une procédure d’alerte quasi-individuelle des riverains par SMS a été mise en place. Les automobilistes ont été prévenus par les panneaux d’information à messages variables implantés sur les différents axes de circulation. Des itinéraires de déviation ont été mis en place, la durée de fermeture a été d’environ une heure et demie à chaque tir. La réouverture n’a été autorisée qu’après interprétation des enregistrements des capteurs de vibration implantés sur les constructions du plateau (10 capteurs, déplacés à l’avancement) et dans le tunnel routier (un capteur sur la voûte et un sur la gaine de ventilation), des mesures de convergence faites en cours de creusement et après visite du tunnel routier. Les seuils de vibration autorisés ont été respectés.

Le maître d’ouvrage a porté une attention particulière au problème du bruit. Le marché comportait la construction d’un mur antibruit côté Rhône, au sud de la tête, et le remplacement des baies vitrées du 8 place Chazette, au nord de la tête.

Le chantier est soumis aux arrêtés municipaux en matière de bruit. Des mesures spécifiques ont été prises par le groupement : mise en place aux deux entrées en tunnel d’un sas destiné à limiter la propagation du bruit et de l’onde de pression du tir, traitement spécifique de la zone de concassage du quai Arloing, adaptation de certains horaires de travaux.

La qualité de l’air rejeté par la ventilation fait l’objet de mesures régulières, notamment après les tirs, ce qui a permis de vérifier l’efficacité du traitement des gaz de tir par barbotage.

Une attention particulière a été portée aux zones susceptibles de dégager des poussières, le traitement par arrosage et pulvérisation d’eau s’est avéré suffisant.

À chaque tête, les eaux sont récupérées et envoyées dans une station de prétraitement, comportant des phases de déshuilage, débourbage, ajustement du pH et dénitrification.

Elles sont ensuite rejetées dans le réseau d’assainissement du Grand Lyon après contrôle de leurs caractéristiques.

Pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, l’évacuation des déblais du tunnel s’est faite à plus de 50 % par voie d’eau. Les déblais sont partiellement stockés en rive gauche du Rhône, au nord (Feyssine, 60 000 m3), et au sud (Ternay, 80 000 m3) et à proximité du tunnel en rive droite de la Saône (20 000 m3, quai Arloing). Ces déblais seront réutilisés en sous-couches de chaussée, notamment dans le tunnel et sur les abords, après traitement.

Un service environnement a été créé par le groupement pour coordonner et regrouper les résultats de toutes ces mesures et intervenir en cas de dépassement des seuils.

Un journal trimestriel, tiré à 30 000 exemplaires, est publié par le groupement d’entreprises qui informe sur les techniques mises en œuvre et sur l’avancement des travaux. Cet article s’en est largement inspiré.

D’importants travaux de rénovation

Le tunnel, partiellement équipé, sera utilisé comme accès de service pour l’exécution des travaux de rénovation du tunnel routier existant. Pour cela, la section de cinq rameaux a été agrandie de façon à faciliter l’accès des engins au tunnel routier, ce qui permettra d’avoir plusieurs chantiers de rénovation en même temps et de réduire la durée de fermeture du tunnel.

Les travaux de rénovation sont importants :

• enlèvement de la coque béton du tunnel ;

• mise en place d’une étanchéité ;

• bétonnage d’un nouveau revêtement ;

• rénovation complète des cinq usines de ventilation et des dix puits ;

• mise en place des nouveaux équipements.

Ces travaux sont prévus sur 7 mois. L’ensemble doit être terminé en février 2014.

Pour cette visite, la Sim remercie Thomas Kavaj pour la clarté de son exposé et ses réponses aux questions qui lui ont été posées. Il a su faire vivre la complexité du chantier et les difficultés liées à sa réalisation en site urbain dense.

 

Pierre Selosse, Sim

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