À la découverte du granit breton

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mines & carrières 195 - septembre 2012

 

Louvigné-du-Désert serait-elle la capitale hexagonale du granit ? Entre un important producteur et le CFA régional de l’Unicem, la réponse semble évidente. À l’Ouest, tout est nouveau, tout est beau ! Compte rendu de la visite organisée par le district Ouest de la Sim, le 21 juin, à la Générale du granit et au CFA de Louvigné-du-Désert.

 


Louvigné-du-Désert est une petite ville de 3 874 habitants située à la frontière entre Bretagne, Normandie et Mayenne. Elle partage ses activités entre l’élevage (7 750 bovins), l’agriculture et le travail du granit. Elle se parait même du titre de “capitale du granit”.

Philippe Robert, p-dg de la Générale du granit, a d’abord présenté aux participants sa société et les problèmes des granits bretons, puis il a fait visiter ses ateliers et l’une de ses carrières. L’après-midi, les participants se sont rendus au centre régional de formation des apprentis de l’Unicem situé dans la ville.

La plus importante usine de transformation

Cette société familiale a été créée en 1967 par Maurice Robert, granitier des Vosges et père de Philippe Robert. Il avait repris une carrière à Louvigné-du-Désert et transféré ses machines. Il fut un pionnier en adoptant le sciage du granit avec les outils diamantés.

Auparavant existait une coopérative ouvrière nommée l’Avenir, créée en 1921 par une quinzaine de syndicalistes suite aux grèves de 1920. Elle avait débuté par la location de quatre carrières et s’était équipée peu à peu en machines pour assurer la transformation des blocs. En 1966 elle réunissait 260 ouvriers, un effectif réduit à 135 en 1981, pour finir en faillite et cesser ses activités en 1985. À cette date, la coopérative fut reprise par la Générale du granit qui a remis ses archives aux archives départementales en 2005.

La Générale du granit est devenue la plus importante usine de transformation de granits en France, tant dans le domaine funéraire que celui de la voirie, après la mise en liquidation judiciaire en 2006 de Pelé granits de Montreuil-sur-Ille, qui compta jusqu’à 285 employés.

Avec 120 employés dont sept agents commerciaux chargés de prospecter les architectes et les marbriers funéraires, et un chiffre d’affaires annuel de 11 M€, la Générale du granit transforme annuellement 8 000 m3 de granits. La moitié de cette activité est consacrée au funéraire, 40 % à la voirie et au bâtiment et 10 % à la décoration intérieure et aux ouvrages spéciaux (fontaines et sculptures).

La société a pu traverser la crise liée aux importations asiatiques en modernisant sans cesse les procédés de transformation : introduction du diamant dans l’usinage du granit (sciage et polissage), automatisation des machines, informatisation du suivi des produits au cours des phases de la transformation depuis le bloc brut jusqu’à la palette d’expédition. Les blocs et les pièces produits sont tous identifiés par une étiquette à code-barres.

Elle travaille en fonction des commandes des marbriers funéraires et des prescripteurs. Elle ne fabrique pas en série, mais regroupe les produits par familles pour rationaliser le façonnage.
Depuis 2007, elle a rejoint l’association Granits de France.

La concurrence asiatique a sérieusement affecté l’industrie granitière, causant entre autres la fin de la firme Pelé granits, spécialisée dans les pierres tombales en granits noirs, qui n’avait pas modernisé ses procédés de fabrication.

Depuis 1998, la Chine inonde les marchés de la voirie et remporte tous les grands chantiers. Les raisons ? Des prix souvent moins élevés, mais surtout une prospection très active des intermédiaires. Les journaux locaux s’indignent que les municipalités comme Brest, Tours, Le Havre, Paris, Dijon, Lyon et récemment Toulouse aient choisi des produits chinois pour paver les places, les trottoirs et les voies des tramways. Malgré les 18 000 km de transport maritime, le prix du fret est faible car les produits lapidaires servent de ballast aux navires porte-conteneurs. Ces produits pour le funéraire et la voirie proviennent principalement de Xiamen au nord-est de Hong-Kong, où se situent nombre de carrières et d’ateliers avec un million d'employés. Y débarquent même les blocs importés de provenances diverses, notamment indiennes.

Pour faire face à cette concurrence, les granitiers bretons cherchent à bénéficier du label IGP (Indication géographique protégée) récemment créé, avec le label “Granit breton”. Lors de sa visite en novembre 2011, Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé du commerce et de l’artisanat, avait promis qu’il pourrait leur être attribué.

25 000 m2 d’ateliers

Les ateliers s’étendent sur 25 000 m2 et le stockage couvert sur 10 000 m2.Il regroupe six grands halls dont certains atteignent 280 m de long. Ils sont équipés de ponts-roulants et de bancs à rouleaux pour les déplacements.

Les ateliers regroupent 300 machines-outils dont 14 grands disques à segments diamantés (de diamètre 2,7 à 3 m), 4 châssis, des polisseuses, une grande carotteuse horizontale, des scies à câble permettant les découpes courbes, plus de nombreuses machines portatives pour les finitions manuelles délicates.

Le sciage fonctionne jour et nuit, avec l’intervention possible d’employés sous astreinte si nécessaire. Sur les 8 000 m3 traités par an, 70 % sont des granits bretons. En outre, des granits et migmatites de diverses couleurs sont importés pour élargir la gamme funéraire. Au total, 300 000 m2 sont sciés chaque année.

La commande numérique a été appliquée à des machines anciennes. Philippe Robert, automaticien de formation, a trouvé des solutions pour homogénéiser la programmation des machines de l’usine. Il cite de petits granitiers qui, après s’être équipés de machines à commande numérique de plusieurs fabricants, ont rencontré des problèmes pour leurs programmations, nécessitant l’intervention d’un spécialiste.

De même, il conçoit ou modifie des machines spécialisées et a déposé plusieurs brevets. L’un d’eux a été appliqué à la fabrication expérimentale de tubes destinés aux déchets nucléaires de l’Andra. Le granit possède en effet une plus grande longévité que les métaux dans les conditions de l’enfouissement à l’échéance du millénaire, ce qui pourrait permettre la reprise des déchets de matières actives par les réacteurs de future génération.

Le polissage au diamant est appliqué aux grandes tranches et il requiert de fortes pressions. De façon complémentaire, les meules magnésiennes traditionnelles au corindon servent pour les finitions manuelles des petites pièces.

Les pavés et bordures sont produits par sciage afin d’obtenir des cotes précises. Certaines des faces sont éclatées entre deux couteaux avec des presses hydrauliques afin d’assurer une meilleure résistance au glissement ou un aspect traditionnel. Les faces sciées peuvent être surfacées par flammage, grenaillage ou bouchardage dans le même but.

Un local est dédié à la gravure par de petits outils diamantés. Des sculptures peuvent être réalisées dont certaines proviennent d’Inde.

Le sciage fournit des tranches épaisses pour les monuments funéraires. Par contre, le sciage de tranches minces pour les revêtements des sols et murs des bâtiments est moins développé. La concurrence espagnole dispose actuellement d’un large excès de capacités de production, favorisé par de larges subventions au cours des années précédant la crise. Elle liquide maintenant ses stocks.

Le cheminement des flux de pièces a été très étudié. Celles-ci sont regroupées et emballées sur palettes pour chaque commande.

Le site Internet de la Générale du granit propose ses modèles aux marbriers funéraires qui ne fabriquent plus eux-mêmes leurs pierres tombales, ainsi qu’aux architectes. En outre, sont proposés des bancs, des bassins, des tables, des plans de travail pour cuisine et salle de bains, des dessus de bar, des dallages de sol et de mur.

Quatre carrières en exploitation

En nom propre ou en association, la Générale du granit dispose de quatre carrières de granites :
• rose de La Clarté dans la commune de Perros-Guirec (Côtes d’Armor), exploité par sa filiale BPG ;
• jaune aurore de Bignan (Morbihan) ;
• bleu de Lanhélin, exploité par Socal (Ille-et-Vilaine) ;
• gris-bleu de Louvigné-du-Désert (Ille-et-Vilaine). En 1977 une quarantaine de petites carrières s’activaient autour de Louvigné, produisant surtout des pavés et des bordures. À Louvigné même, les inclusions noires (“crapauds” des carriers) étant moins nombreuses, le granit alimentait déjà l’industrie funéraire.

Le contexte géologique

Quelques indications sur le contexte géologique des granits bretons intéresseront les lecteurs les plus curieux. La péninsule bretonne est subdivisée en deux familles de grandes failles décrochantes en une zone nord, une zone centrale et une zone sud. La zone nord comprend des gneiss œillés très anciens datés du Protérozoïque ancien (2 200-1 800 Ma), d’origine volcanique et appelés Icartiens. On les rencontre dans la région de Lannion, au nord du Cotentin et dans le sud de Guernesey (Icart Point).

Après une longue période d’interruption, l’érosion de la chaîne icartienne dépose la série détritique du Briovérien (nommé d’après Briovera, ancien nom de Saint-Lô) datée approximativement de 670-540 Ma. Une série volcano-sédimentaire est surmontée de grès et schistes très épais, déposés par des turbidites (flysch) dans un bassin marin profond. Ce flysch, affleurant largement en Normandie, est accompagné de radiolarites (phtanites) et de rares carbonates. Dans la partie occidentale de la zone nord, le Briovérien renferme des lentilles de roches ultrabasiques (ophiolites) indiquant la trace d’un océan disparu par subduction lors de la phase hercynienne. Dans la zone centrale, le socle précambrien est en grande partie recouvert par les sédiments paléozoïques

Les sédiments marins du Briovérien ont été plissés puis intrudés de granits appelés cadomiens, (de Cadomus, Caen) lors de l’orogénèse survenue à la fin du Précambrien (540 Ma), puis surmontés en discordance par la transgression cambrienne. Les massifs granitiques de Lanhélin et de Louvigné, allongés ouest-est, font partie de ces massifs cadomiens traversant les sédiments briovériens plissés, mais peu métamorphiques ; ils se prolongent jusque dans la région de Vire. On considère qu’ils appartiennent à un vaste batholite appelé Mancellia (du nom des habitantes du Mans).

Ce sont des grano-diorites gris-bleu, datées de 617-580 Ma, contenant de la cordiérite dans la région de Vire. Ce continent de la Mancellia a été peu affecté par l’orogénèse hercynienne.

Cette phase hercynienne majeure, datée de la fin du Carbonifère (environ 299 Ma), a été plus intense dans l’ouest de la péninsule bretonne, qui se situait entre deux zones de subduction, jalonnées au sud par les ophiolites de Vendée et au nord par celles de Lizard Point au Pays de Galles. Elle s’est traduite par la superposition de nappes et par des intrusions. Les granits hercyniens contiennent quelques minéraux radioactifs comme la pechblende, l’autunite, l’allanite. On rapporte à la phase hercynienne le célèbre granit rose de La Clarté extrait à Perros-Guirec.

Le granite de Bignan, à 18 km au nord de Vannes, est un petit pointement à travers le Briovérien de la zone centrale. Son âge est également hercynien (environ 340 Ma). En 1991, une analyse au microscope polarisant a permis de déterminer un granit à deux micas (muscovite et biotite, celle-ci à inclusion de zircons radioactifs), avec des feldspaths du type microcline et plagioclase.

La carrière de Louvigné-le-Désert, qui fait l’objet d’une visite à 2 km de l’usine, appartient à la phase cadomienne. C’est une fosse au milieu de landes où la Générale du granit possède de vastes terrains qui assurent des réserves immenses et des aires pour les déblais. L’entreprise dispose aussi de droits de concassage, non utilisés actuellement. Sous quelques mètres d’arène granitique, se trouve une zone de boules épaisse d’environ 4 ou 5 m, puis le granit massif exploité sur trois gradins. C’est une grano-diorite à biotite, à grain moyen (2-4 mm), sans cordiérite.

Certaines faces sont sciées au câble diamanté, en évitant les zones altérées et les fractures pouvant coincer le câble. Le sciage au câble devrait se généraliser parce qu’il est plus rapide et évite le bruit et les poussières des forages et des tirs. De plus, il économise le matériau en réalisant des coupes planes dont les flancs ne sont pas endommagés par l’explosif. Les autres coupes sont abattues par des tirs de cordeau détonant dans des trous espacés de 15 à 18 cm. Pour la coupe de base, on tire parti de fractures à faible pente (fractures de décompression), ou bien on soulève la masse par des tirs dans des trous horizontaux, en vue de faciliter les déplacements des engins. Une gailleuse à plusieurs marteaux perforateurs montée sur une pelle hydraulique refend les masses en blocs transportables.

Comme la Générale du granit ne vend pas de blocs commerciaux, qui doivent avoir des dimensions minimales et une forme de parallélépipède, les blocs informes sont utilisés par l’usine. Ceci porte le taux de récupération à quelque 60 %, bien au-dessus des valeurs rencontrées habituellement.

Le CFA régional de l’Unicem

La présentation du centre de formation d’apprentis des industries de carrières et matériaux de construction a été faite par la directrice, Sophie Galle. Fondé en 1970, le CFA est géré par l’Unicem. Il forme 120 apprentis dont les deux tiers destinés aux métiers de la pierre. Il recrute des jeunes de 16 à 26 ans, au niveau de la classe de troisième au minimum, et ayant conclu un contrat d’apprentissage dans une entreprise. La formation alterne une semaine au CFA et deux semaines en entreprise. Le CFA accepte aussi des personnes plus âgées en cours de recyclage. Les jeunes filles sont encore peu nombreuses, car freinées par une image défavorable de la profession.

Deux autres centres de formation des apprentis aux métiers de la pierre existent en France : l’un à Lacrouzette dans le massif granitique du Tarn, l’autre à Montalieu dans le bassin du calcaire marbrier de Villebois (Isère et Ain).

La formation au CAP dure deux ans, celle au brevet professionnel demande deux années supplémentaires. Les apprentis proviennent de tout l’Ouest de la France, du Nord et du Bassin parisien. Environ 80 % des apprentis ayant acquis le CAP poursuivent la formation brevet.

Dans l’atelier de taille de pierre, les élèves travaillent le marbre, le calcaire tendre, le calcaire marbrier et le granit. Les postes de taille sont équipés de systèmes d’aspiration, les élèves emploient les outils manuels, ciseaux et maillet pour le CAP, et les outils pneumatiques pour le niveau brevet. Des modèles de sculptures à reproduire sont à leur disposition. On leur enseigne le polissage manuel, le polissage à la genouillère avec meules au carborundum ou à la polisseuse à commande numérique, et le lustrage à l’acide oxalique ou à la potée d’étain selon les roches, ainsi que la découpe et le collage. En outre, des notions d’histoire de l’art leur sont dispensées.

Dans l’atelier de mécanique, les élèves ayant choisi cette option apprennent l’ajustage, la soudure, le démontage et le remontage des pièces de machines d’atelier et d’engins de carrière, la réparation des moteurs et des parties hydrauliques comme les pompes et vérins. Au niveau baccalauréat professionnel, ils sont formés à la détection des pannes. Un certain nombre de matériels de carrière sont mis à leur disposition.

À leur sortie, les élèves trouvent pratiquement tous un emploi comme tailleur de pierre, profession qui offre de nombreux postes, soit sur place comme à la Générale du granit (dont la plupart des employés sont issus de ce CFA), soit dans d’autres régions. Selon la directrice, les candidats ne sont pas assez nombreux face à la demande des entreprises.

 

Raymond Perrier

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